Il n’y a que quatre entraîneurs de couleur en Europe, dont deux en France, Tigana et Kombouaré. Une Enquête du JDD. Autant l’écrire d’emblée: « C’est un sujet très complexe. » On nous l’a dit et répété. La question était pourtant simple: pourquoi y a-t-il si peu d’entraîneurs de couleur? En France, ils ne sont que deux à avoir dirigé un club professionnel depuis 1945 : Antoine Kombouaré (aujourd’hui au PSG) et Jean Tigana (Bordeaux). Accablant, mais cela n’émeut guère. Sur le terrain, les effectifs sont de plus en plus métissés, mais on ne relève jamais que les bancs sont blancs. Ultra-blancs. L1 et L2 confondues, on compte sur les doigts de la main les adjoints issus de la diversité: Zakaria Alaoui (Dijon), Bouziane Benaraïbi (Monaco) et Pape Fall (Caen). [caption id="attachment_7297" align="alignleft" width="240" caption="Jean Tigana"][/caption] Des chiffres qui surprennent Jean Tigana mais ne le perturbent pas: « C’est déjà bien. Les choses vont évoluer. C’est comme le droit de vote des femmes. J’ai une mère blanche, un père noir, j’ai grandi dans un quartier pied-noir: je n’ai jamais accordé d’importance à tout ça. » C’est pourtant lui qui avait provoqué un tollé en 2004 en affirmant que son échec dans la course au poste de sélectionneur de l’équipe de France était lié à sa couleur de peau. Joueur, il n’a jamais mis en avant ses origines. Son image d’entraîneur est celle d’ancien grand Bleu, pas celle d’un Franco-Malien. Tout comme Antoine Kombouaré est assimilé aux heures de gloire du PSG des années 1990 plutôt qu’à la Nouvelle-Calédonie. Ce dernier n’a pas souhaité s’exprimer. Il l’avait fait dans le livre Noirs en Bleu (Anne Carrière) en 2008. Il notait « une certaine réticence de la part des dirigeants […] vis-à-vis des supporters, des sponsors ou des télés« . En 2005, Nordine Kourichi, Franco-Algérien aux 250 matches en D1, était sans poste malgré son diplôme d’entraîneur professionnel (DEPF). Il regrettait qu’ »à CV égal on donne toujours le poste à un Blanc ». Nouveau tollé. Aujourd’hui, il s’occupe de réinsertion scolaire à La Courneuve et glisse prudemment: « Ce n’est pas une histoire de couleur, mais c’est quand même très étonnant. »

À l’image de la société

[caption id="attachment_7301" align="alignleft" width="216" caption="Daúto Faquirá "][/caption] Le constat ne se limite pas à la France. En Europe, seuls Ruud Gullit à Grozny (Russie) et Daúto Faquirá à Olhanense (Portugal) sont en poste. En Angleterre, il faut descendre en troisième division (League One) pour voir Paul Ince à Notts County et Chris Powell à Charlton. Même le Brésil, pays métissé par excellence, est concerné. Andrade a été le premier entraîneur noir à remporter le titre national, en 2009 avec Flamengo. Aujourd’hui sans club, il témoigne: « Même quand j’ai été champion, on a dévalorisé mon travail. Comme si on doutait en permanence de mes capacités. Nous, les Noirs, on doit prouver encore plus que les autres. Notre histoire n’est que souffrance. » [caption id="attachment_7300" align="alignleft" width="216" caption="Ruud Gullit"][/caption] En France, le contexte politique – remontée du FN, débat sur la laïcité – conforte aussi le sentiment d’injustice. Mais la plupart des entraîneurs refusent la posture de victime. Pour Pape Fall, l’adjoint sénégalais de Franck Dumas à Caen, « les premiers responsables sont les Africains. Nos clubs et nos sélections vont chercher des coachs européens grassement payés. C’est comme s’ils disaient qu’il n’y a pas de compétence sur le continent. » Directeur du centre de formation de Nancy, Rachid Maatar met en avant « les atouts de la double culture« , mais regrette la frilosité des dirigeants: « On ne donne jamais les postes à responsabilité. » La question n’est pas spécifique au football. Alain Jakubowicz, le président de la Licra, cite le cas de la télévision: « La personne issue de l’immigration y est peu visible et pas valorisée. Il faudrait la montrer dans la réussite sociale. En avocat plutôt qu’en délinquant. Pareil dans le foot: l’entraîneur black ou arabe n’est pas condamné à ne s’occuper que d’un club amateur. » Aujourd’hui à Alfortville (National), Azzedine Meguellatti est le dernier technicien maghrébin à avoir exercé chez les professionnels, à Istres en 2002-2003. Il rumine: « Les coachs blacks ou beurs ne sont pas plus cons que les autres. J’en connais plein qui pourraient exercer. »

Desailly et Lama pas motivés

À condition d’avoir le DEPF, diplôme certes long à décrocher, un baromètre de motivation aussi. Pierre Repellini, vice-président du syndicat des entraîneurs (Unecatef), est circonspect: « Ils font bouillir la marmite chez les jeunes, mais dès qu’il faut passer des examens il n’y a plus grand monde. Est-ce un problème de compétence? De diplômes trop difficiles? Est-ce qu’ils s’en foutent? C’est problématique. » Et tout le monde se renvoie la balle. Jean-Pierre Louvel, président du Havre et des clubs pros français: « Ce n’est évidemment pas une histoire de discrimination, mais d’opportunité sur le marché. Pourquoi ne passent-ils pas les diplômes? » « Si certains de la génération 1998 avaient voulu, vous croyez qu’ils n’auraient pas trouvé de clubs ? interroge Tigana. Mais ils ont préféré devenir consultants à la télé… » En privé, Marcel Desailly ne cache ainsi pas son peu de motivation à exercer malgré les appels du pied du Ghana, son pays d’origine. Éphémère sélectionneur du Kenya, Bernard Lama n’a pas poussé son cursus jusqu’au bout. « J’ai été tenté, mais je n’ai pas reçu beaucoup de signes de clubs et, c’est vrai aussi, je n’ai pas couru après une carrière, admet-il, tout en réclamant une politique volontariste. Un des meilleurs moyens d’encourager les présidents serait de placer des gens d’origine africaine, antillaise ou maghrébine à la direction technique nationale (DTN). En France, il n’y a aucune politique d’intégration. » François Blaquart, le nouveau DTN, oppose une approche « historique » à ceux qui décrivent une famille blanche et fermée où chacun s’accrocherait à son poste: « Il y a toujours un temps de latence entre l’intégration et l’accès aux responsabilités. Les portes ne sont pas fermées. On peut penser qu’il y aura rapidement une augmentation d’entraîneurs issus de la diversité. Avec le temps, ça ne sautera plus aux yeux. » Reste que, depuis vingt ans, l’exception est la règle. ©lejdd.fr   ]]>